« Cela fait plaisir de recevoir un prix de temps à autre. Je perçois ce prix comme un autre encouragement à continuer de travailler sur une thématique aussi importante que la responsabilité sociale de l'entreprise », nous a confié Sadok El Ghoul, professeur en administration des affaires au Campus Saint-Jean.
Concept né dans les années 1960, la Responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) consiste, pour une entreprise, à intégrer les préoccupations sociales et environnementales dans ses activités et dans ses interactions avec les autres parties prenantes. Ce qui a motivé le professeur à poursuivre des recherches sur la RSE au début, c'est que la communauté scientifique ne semblait pas bien cerner ses effets sur la performance de l'entreprise.
« Dans le temps, la pensée dominante stipulait qu'une entreprise qui dépensait en faveur de la RSE pouvait en souffrir, car ses concurrents socialement irresponsables finiraient par lui soutirer des parts de marché. Cependant, mes travaux montrent que les entreprises socialement responsables jouissaient de coûts de financement réduits, grâce notamment à une base d'investisseurs plus large et un risque plus faible », explique Sadok El Ghoul.Celui qui enseigne la finance, le commerce international et l'économétrie dit d'ailleurs consacrer une partie de son cours sur le commerce international à l'éthique des affaires : « J'introduis plusieurs théories telles que la théorie des droits, l'utilitarisme, la théorie de la justice, etc. qui permettent de juger si une action est éthique. »
Pour la première fois de sa carrière, le professeur a participé au Forum mondial sur l'éthique des affaires (World Business Ethics Forum, dans son titre original), dont la 6e édition s'est déroulée du 11 au 13 décembre 2016. Fondé conjointement par l'Université de Macau et l'Université baptiste de Hong Kong en 2006, ce congrès réunit tous les deux ans des conférenciers de plusieurs pays pour discuter de nouvelles idées en matière d'éthique des affaires.
Intitulé « Contrôle familial et responsabilité sociale de l'entreprise », l'article qu'a soumis M. El Ghoul à la discussion s'intéresse aux déterminants de la RSE, et plus particulièrement à la structure de propriété des entreprises. Écrit en collaboration avec Omrane Guedhami et Chuck C.Y. Kwok, de l'Université de Caroline du Sud, et He Wang, de l'Université Renmin de Chine, l'article pose la question suivante : Est-ce qu'une entreprise familiale est plus performante en matière de RSE que d'autres types d'entreprises?
Les recherches menées par le professeur sur neuf pays d'Asie de l'Est montrent que ce n'est pas le cas. Les entreprises familiales de ces pays-là ont une performance sociale et environnementale médiocre. Ceci est dû en grande partie au fait que plusieurs familles exercent un contrôle effectif sur des entreprises avec des droits de propriétés relativement faibles. La séparation du contrôle et de la propriété permet à ces familles d'agir de manière opportuniste à l'égard des actionnaires et des autres parties prenantes de l'entreprise (employés, environnement, communauté, etc.).
« Vous pouvez y penser par analogie à une situation où vous contrôlez une chose, mais vous n'en êtes pas le propriétaire exclusif. Vous pouvez avoir des tentations à utiliser cette chose pour vous enrichir aux dépens des autres parties prenantes », explique Sadok El Ghoul.
L'autre conclusion intéressante de l'article est que la performance de ces entreprises familiales en matière de RSE se détériore davantage encore lorsque les institutions du pays dans lequel elles opèrent sont fragiles. Cela revient-il à dire que la responsabilité sociale des entreprises ne s'exerce que s'il y a une certaine pression sociale? « Oui, répond le professeur, la mauvaise performance sociale et environnementale des entreprises familiales est plus prononcée quand les mécanismes de gouvernance sont relativement ineffectifs. Il peut s'agir de mécanismes internes comme le conseil d'administration ou externes comme les médias. »
L'article apporte donc un éclairage non seulement sur la RSE, mais aussi sur le fonctionnement des entreprises familiales et l'importance de l'environnement institutionnel dans la conduite des affaires. Et les travaux de M. El Ghoul ne s'arrêtent pas là puisque dans un nouveau travail de recherche, qui sera disponible dans quelques semaines, il montre que les entreprises peuvent utiliser la RSE comme police d'assurance pendant les périodes de difficultés financières.
« C'est une thématique cruciale qui me passionne de plus en plus », a commenté le professeur. C'est aussi un sujet que les acteurs privés ne peuvent plus ignorer tellement le monde d'aujourd'hui est devenu interdépendant. « Pensez à la paie et aux conditions de travail dans certaines industries, poursuit M. El Ghoul, à la question de la diversité, aux problèmes de pollution et de changements climatiques, au respect des droits de l'homme, etc. Ultimement, le bien-être et, surtout, la survie de la race humaine dépendent de la RSE. »