« Il serait probablement plus facile d'enseigner les mathématiques à un groupe d'élèves ayant les mêmes habilités dans cette matière, les mêmes styles d'apprentissages et les mêmes réalités culturelles. Toutefois, ce serait tout aussi ennuyeux », évoque la vice-doyenne principale, Affaires académiques, au début de sa présentation.
Selon cette dernière, il peut être facile de rendre les mathématiques intéressantes si on y met les efforts. Elle puise alors dans son bagage personnel et plus particulièrement à ses débuts en enseignement à Wedgeport en Nouvelle-Écosse. « J'enseignais au secondaire et les élèves n'étaient pas trop intéressés aux fonctions trigonométriques. J'ai réussi à les motiver en puisant dans les activités culturelles de ce village de pêche, par exemple, en les invitant à trouver la distance entre deux endroits clés du village. Ceux-ci ont rapidement démontré un intérêt envers cette matière. Il ne faut pas négliger la culture communautaire qui nous entoure lorsqu'il est question de mathématiques », estime Mme d'Entremont.
Cet exemple peut facilement se transposer aujourd'hui. « Les élèves diffèrent au niveau de leur milieu socioculturel et leurs valeurs culturelles. Cette diversité au niveau de leur vécu rend l'enseignement plus intéressant et plus stimulant. À mon avis, il est essentiel de faire des liens qui servent à intégrer l'héritage culturel des élèves à l'enseignement des mathématiques », affirme Yvette d'Entremont.
Pour la professeure, l'ethnomathématiques, qui est l'étude de l'interaction entre les mathématiques et la culture, est essentielle. « L'enseignant doit connaître ses élèves, pas seulement en ce qui concerne les connaissances mathématiques, mais aussi leur vécu. Ceci mène également à l'acquisition de connaissances profondes et conceptuelles, pas seulement la mémorisation de la formule quadratique », mentionne-t-elle.
La recherche démontre que l'étude des mathématiques avec une direction ethnomathématiques aide l'élève à acquérir les connaissances et les compétences essentielles pour comprendre l'aspect mathématique de sa culture et des autres cultures. On peut le retrouver dans l'agriculture, la pêche, la couture, la cuisine, l'architecture, l'art et l'artisanat et bien plus…
Couverture piquée, pysanka et tissage de paniers
Pour illustrer ses dires, Yvette d'Entremont a présenté une partie de sa recherche qui fait le lien entre les mathématiques, l'art et l'artisanat.
Dans plusieurs cultures, la fabrication de la couverture piquée est une tradition qui est transmise de génération en génération; elle a une valeur historique et artistique. Pour Mme d'Entremont, sa création est aussi de nature mathématique. « Moi, lorsque je vois une couverture piquée, je vois plusieurs concepts mathématiques, comme l'estimation, la mesure, l'aire, le périmètre, les fractions, les proportions, les formes, la symétrie, la réflexion, la rotation et bien plus », énumère-t-elle.
La pysanka est un autre bel exemple. Pour plusieurs, il s'agit d'une tradition culturelle alors que les motifs et la couleur de chaque œuf servent à exprimer un attachement étroit entre la terre et les éléments naturels et que la symbolique de chaque œuf a une signification importante. « Lorsque je regarde une pysanka, prenons l'exemple de l'œuf métallique que l'on retrouve à l'entrée de Vegreville, moi je vois des mathématiques : des fractions, des droites et des symétries, des droites parallèles et perpendiculaires, ainsi que des transformations (translations, rotations et réflexions », indique Yvette d'Entremont.
Tissage de paniers
S'intéressant grandement aux paniers Mi'kmaq, Yvette d'Entremont s'est retrouvée en mai 2011 et en mai 2013 à l'Ile du Prince-Édouard pour interviewer Marjorie Paul, une femme Mi'kmaq qui tisse des paniers, afin de comprendre comment cette artiste utilise les mathématiques dans ses créations. « Sa première réaction a été : I don't do math. Au fil de nos échanges, elle a réalisé sans le savoir qu'elle faisait des mathématiques », avance-t-elle.
En effet, le processus de création d'un panier commence avec des lattes de bois. Pour déterminer la grandeur du panier, elle utilise une unité de mesure unique : ses mains. Donc, une latte qui mesure deux, quatre, six ou huit mains. Ensuite, elle coupe ses lattes en deux, en quatre ou en huit.
Cette femme, qui n'a pas terminé ses études secondaires, a même été l'une des 90 artistes autochtones retenues pour créer une œuvre dans le cadre des Jeux olympiques de Vancouver de 2010. Elle a alors réalisé une œuvre de 7 pieds par 6 pieds. Son œuvre faisait cette taille, car la salle utilisée pour la créer avait un mur de cette grandeur. Elle a trouvé le point central de son œuvre en attachant deux cordes diagonales.
« Lorsqu'on regarde son processus pour chacune de ses œuvres, on réalise qu'elle fait des mathématiques, beaucoup de mathématiques, mais sans s'en rendre compte. Marjorie Lewis met en pratique des principes mathématiques qu'elle a appris oralement et visuellement en pratiquant la fabrication de paniers avec ses parents et ses grands-parents. Pour elle, la fabrication de paniers représente la transmission d'une culture. Suivant cette entrevue, nous devons nous demander comment nous pouvons apprendre de cette femme à enseigner les mathématiques pour que l'utilisation des mathématiques soit une activité naturelle et non une activité pénible? », questionne Yvette d'Entremont.
Comme elle le fait remarquer, la diversité culturelle est une force. « La création d'activités de mathématiques basées sur des symboles traditionnels, que ce soit la couverture piquée, la pysanka et la fabrication d'un panier, est essentielle dans la salle de classe. Les concepteurs de programmes d'enseignements et les enseignants devraient prendre en considération cette diversité pour améliorer l'apprentissage des mathématiques par le biais d'activités sociales et culturelles », explique-t-elle.
« Étant donné que, dans la salle de classe, la diversité culturelle est un phénomène de plus en plus courant, il est primordial que les écoles sachent procurer un environnement propice à l'échange culturel », conclut Yvette d'Entremont.