EAA Edmund A. Aunger
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NOTE:
Il s’agit d’extraits des Politiques par Aristote, adaptés de la traduction
de Pierre Pellegrin (Paris: Flammarion, 1990). Livre I I, 1.1 Puisque toute cité, nous le voyons, est une
certaine communauté, et que toute communauté a été constituée en vue
d’un certain bien (car c’est en vue de ce qui leur semble un bien
que tous les hommes font ce qu’ils font), il est clair que toutes les
communautés visent un certain bien, et que, avant tout, c’est le bien
suprême entre tous que vise celle qui est la plus éminente de toutes et qui
contient toutes les autres. Or
c’est celle que l’on appelle la cité, c’est-à-dire la
communauté politique. I, 1.2 Quant à ceux qui pensent qu’être
homme politique, roi, chef de famille, maître d’esclave c’est la
même chose, ils n’ont pas raison.
C’est, en effet, selon le grand ou le petit nombre, pensent-ils,
que chacune de ces fonctions diffère des autres, et non pas selon une
différence spécifique : ainsi quand on commanderait à peu de gens on
serait maître, à plus de gens chef de famille, et à encore plus homme
politique ou roi, comme s’il n’y avait aucune différence entre
une grande famille et une petite cité.
Quant à la différence entre un homme politique et un roi, quand on a
été placé soi-même au pouvoir on serait roi, mais quand on exerce le pouvoir
selon les règles de la science qui fait que l’on est tour à tour
gouvernant et gouverné on serait homme politique. Eh bien tout cela n’est pas vrai. I, 2.2 Ainsi, il est tout d’abord nécessaire
que s’unissent les êtres qui ne peuvent exister l’un sans
l’autre, par exemple la femme et l’homme en vue de la procréation
(et il ne s’agit pas d’un choix réfléchi, mais comme aussi pour
les autres animaux et les plantes d’une tendance naturelle à laisser
après soi un autre semblable à soi); et celui qui commande et celui qui est
commandé, et ce par nature, en vue de leur mutuelle sauvegarde. En effet, être capable de prévoir par la
pensée c’est être par nature apte à commander c’est-à-dire être
maître par nature, alors qu’être capable d’exécuter physiquement
ces tâches c’est être destiné à être commandé c’est-à-dire être
esclave par nature. C’est
pourquoi la même chose est avantageuse à un maître et à un esclave. I, 2.3 Ainsi est-ce par nature que se distingue la
femme et l’esclave (car la nature ne fait rien chichement, comme le
font les forgerons pour les couteaux de Delphes, mais elle fait une chose
pour un seul usage; car chaque instrument accomplira au mieux sa tâche
s’il sert non à plusieurs fonctions mais à une seule). I, 2.4 Chez les barbares pourtant la femme et
l’esclave ont le même rang. La
cause en est qu’ils n’ont pas la faculté naturelle de commander,
mais il s’établit entre eux l’association d’une esclave et
d’un esclave. C’est
pourquoi, aux dires des poètes, « Aux barbares il convient que les
Hellènes commandent », comme si par nature c’était la même chose
qu’un barbare et un esclave. I, 2.5 Ces deux communautés constituent la famille
première, et c’est à juste titre qu’Hésiode a dit dans son
poème : « D’abord une maison, une femme, un bœuf de
labour », car le bœuf tient lieu de serviteur aux pauvres. D’une part, donc, la communauté
naturelle constituée en vue de la vie de tous les jours c’est la
famille, dont les membres sont appelés compagnons par Charondas et commensaux
par Epiménide de Crète. D’autre part, la communauté première
formée de plusieurs familles en vue de relations qui ne soient plus seulement
celles de la vie quotidienne, c’est le village. I, 2.6 Réalité tout à fait naturelle, le village
semble être une colonie de la famille, et certains appellent ses membres des
gens qui ont tété le même lait, des enfants et des petits-enfants. C’est aussi pourquoi les cités ont
d’abord été gouvernées par des rois, et que c’est encore
aujourd’hui le cas des peuplades.
Elles se sont en effet constituées de gens soumis à un roi, car toute
famille est régie par le plus âgé, de sorte que les colonies de familles le
sont aussi du fait de la parenté de leurs membres. I, 2.7 Et c’est ce que dit Homère :
« Chacun fait la loi pour ses enfants et ses femmes », car les gens
en question étaient dispersées : c’est ainsi que l’on
vivaient autrefois. Et des dieux eux
aussi tous les hommes prétendent qu’ils sont soumis à un roi, parce que
certains d’entre eux sont encore aujourd’hui soumis à des rois et
que les autres l’ont été jadis, et de même que les hommes se les
représentent à leur image, de même supposent-ils aux dieux une vie comparable
à la leur. I, 2.8 Et la communauté achevée formée de
plusieurs villages est une cité dès alors qu’elle a atteint le niveau
de l’autarcie pour ainsi dire complète; s’étant donc constituée
pour permettre de vivre, elle permet, une fois qu’elle existe, de mener
une vie heureuse. Voilà pourquoi toute
cité est naturelle : c’est parce que les communautés antérieures
dont elle procède le sont aussi. Car
elle est leur fin, et la nature est fin : ce que chaque chose, en effet,
est une fois que sa genèse est complètement achevée, c’est cela que
nous disons être la nature de cette chose, par exemple la nature d’un
homme, d’un cheval, d’une famille. I, 2.9 De plus le ce en vue de quoi,
c’est-à-dire la fin, c’est le meilleur, et l’autarcie est à
la fois une fin et quelque chose d’excellent. Il est manifeste, à partir de cela, que la
cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est par nature
un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr
et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé soit un être
surhumain, et il est comme celui qui est injurié en ces termes par
Homère : « sans lignage, sans loi, sans foyer ». I, 2.10 Car un tel homme est du même coup
naturellement passionné de guerre, étant comme un pion isolé au jeu de
trictrac. C’est pourquoi il est
évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe
quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne
fait rien en vain; or seul parmi les animaux l’homme a un langage. I, 12.1 Puisqu’il y a trois parties dans
l’administration domestique : L’une concerne la fonction de
maître, l’une celle de père, la troisième celle d’époux. Car l’autorité qu’on exerce sur
sa femme et celle qu’on exerce sur ses enfants concerne dans les deux
cas des êtres libres, mais ce n’est pourtant pas la même forme
d’autorité : sur la femme s’exerce une autorité politique
sur les enfants une autorité royale.
Le mâle est, en effet, plus apte que la femelle à gouverner, sauf si
sa constitution va contre la nature, et le plus âgé plus que le plus jeune
encore imparfait. I, 12.2 Dans la plupart des régimes politiques on
est tour à tour gouvernant et gouverné (car on veut être égaux de nature sans
différence aucune); pourtant quand tel gouverne et tel est gouverné, celui-là
s’efforce qu’il existe une différence aussi bien par un insigne
que par des titres et des honneurs, comme le fit remarquer Amasis à propos du
bassin où il se lavait les pieds. Mais
dans le cas du mâle et de la femelle ce rapport de subordination existe
toujours. I, 13.1 Il est donc manifeste que
l’administration familiale fait plus de cas des gens que de la
possession des biens inanimés, de l’excellence des premiers plus que de
celle de la propriété (ce qu’on appelle la richesse), et de
l’excellence des hommes libres plutôt que de celles des esclaves. I, 13.2 Il y donc une question préalable
qu’on pourrait se poser à propos des esclaves : existe-t-il outre
ses vertus d’instrument et de serviteur une autre vertu déterminée de
l’esclave, plus précieuse que celles-là, comme tempérance, courage,
justice et autres dispositions de ce genre, ou n’en a-t-il aucune en
dehors des services qu’il rend avec son corps? I, 13.3 Les deux hypothèses soulèvent des
difficultés : s’il en a qu’est-ce qui le distinguera des
hommes libres? Qu’il n’en ait pas, alors que les esclaves sont
des hommes et ont la raison en partage, c’est absurde. Une question à peu près semblable se pose
pour la femme et l’enfant : ont-ils eux aussi des vertus, et
faut-il que la femme soit tempérante, courageuse, juste, et l’enfant
peut-il ou non être aussi bien déréglé que tempérant? I, 13.4 Et il faut examiner cela en général dans le
cas de celui qui commande par nature et de celui qui est commandé par
nature : leur vertu est-elle la même ou est-elle différente? S’il fallait que tous les deux
participent à l’honnêté, pour quelle raison
faudrait-il que l’un commande et que l’autre soit commandé une
fois pour toutes? Il n’est pas
possible non plus qu’ils diffèrent selon le plus et le moins, car être
commandé et commander diffèrent spécifiquement, ce que ne fait pas la
différence de plus et de moins. I, 13.6 C’est de cet état de fait que nous
sommes partis en psychologie, car l’âme possède naturellement en elle
un principe qui commande et un qui est commandé, les quels ont selon nous des
vertus propres, à savoir celle de la partie douée de raison et celle de la
partie non raisonnable. Il est donc
évident qu’il en va de même dans les autres domaines, et que
c’est par nature qu’il y a dans la plupart des cas un commandant
et un commandé. I, 13.7 En effet, c’est d’une manière
différente que l’homme libre commande à l’esclave, l’homme
à la femme, l’homme adulte à l’enfant. Tous ces gens possèdent les différentes
parties de l’âme, mais ils les possèdent différemment :
l’esclave est totalement dépourvu de la faculté de délibérer, la femme
la possède mais sans autorité, l’enfant la possède mais imparfaite. I, 13.8 Il faut donc supposer qu’il en est
nécessairement de même pour les vertus éthiques : tous doivent y avoir
part, pas cependant de la même manière, mais dans la mesure où l’exige
la fonction de chacun. C’est
pourquoi celui qui commande doit posséder la vertu éthique achevée (car toute
œuvre est, au sens absolu, celle du maître d’œuvre, et la
raison est un maître d’œuvre), alors que chacun des autres
n’en a besoin que dans la mesure où cela lui convient. I, 13.9 Si bien qu’il est manifeste que tous
ces gens dont nous avons parlé ont une vertu éthique, mais aussi que la
tempérance n’est pas la même chez la femme et chez l’homme, ni le
courage ni la justice, comme Socrate pensait que c’était le cas, mais
chez l’un il y a un courage de chef, chez l’autre un courage de
subordonnée, et il en est de même pour les autres vertus. Livre III III, 6.1 Puisque tous ces points ont été traités,
nous devons à leur suite examiner s’il faut admettre une seule
constitution ou plusieurs, et s’il y en a plusieurs lesquelles et
combien, et quelles sont les différences qu’il y a entre elles. Une constitution est pour une cité une
organisation des diverses magistratures et surtout de celle qui est
souveraine dans toutes les affaires.
Partout, en effet, ce qui est souverain c’est le gouvernement de
la cité, mais la constitution c’est le gouvernement. III, 6.2 Je veux dire, par exemple, que dans les
cités démocratiques c’est le peuple qui est souverain, alors que
c’est le petit nombre dans les cités oligarchiques. Et nous disons que la constitution est elle
aussi différente dans les deux cas, et nous établissons la même relation dans
les autres cas. Il faut d’abord
établir en vue de quoi la cité est constituée, et combien il y a de sortes de
pouvoir concernant l’homme et la communauté dans laquelle il vit. III, 6.3 Nous avons dit, dans nos premiers exposés
traitant de l’administration familiale et du pouvoir du maître, entre
autres choses qu’un homme est par nature un animal politique. C’est pourquoi, même quand ils
n’ont pas besoin de l’aide des autres, les hommes n’en ont
pas moins tendance à vivre ensemble.
Néanmoins l’avantage commun lui aussi les réunit dans la mesure
où cette union procure à chacun d’eux une part de vie heureuse. III, 6.4 Tel est assurément le but qu’ils ont
avant tout, tous ensemble comme séparément.
Mais ils se rassemblent et ils perpétuent la communauté politique
aussi dans le seul but de vivre.
Peut-être, en effet, y a-t-il une part de bonheur dans le seul fait de
vivre si c‘est d’une vie point trop accablée de peines. III, 6.5 Il est d’ailleurs évident que la
plupart des hommes supportent beaucoup de souffrances tant ils sont attachés
à la vie, comme si celle-ci avait en elle-même une joie et une douceur
naturelles. Mais il est assurément
aisé de distinguer les sortes de pouvoir dont nous venons de parler, et nous
avons souvent apporté des précisions sur ce point dans nos traités de
vulgarisation. III, 6.6 Le pouvoir du maître, bien qu’il y
ait en vérité un avantage commun à l’esclave par nature et au maître
par nature, ne s’exerce pas moins à l’avantage du maître, et
seulement par accident à celui de l’esclave; si, en effet, l’esclave
disparaît il est impossible que le pouvoir du maître subsiste. III, 6.7 Mais le pouvoir qu l’on a sur ses
enfants, sa femme et toute sa maison, et que nous appelons pour cela
familial, s’exerce sans nul doute au profit de ceux qui lui sont soumis
ou en vue de quelque bien commun aux deux parties, mais essentiellement au
profit de ceux qui y sont soumis, comme nous voyons dans les autres arts
comme la médecine et la gymnastique : c’est par accident
qu’ils visent l’avantage propre de ceux qui les exercent. Car rien n’empêche le pédotribe d’être parfois aussi l’un des
gymnastes, tout comme le pilote est toujours l’un des marins. III, 6.8 Et certes, le pédotribe
ou le pilote ont en vue le bien des gens qu’ils dirigent, mais quand
ils deviennent eux-mêmes l’un de ceux-ci, par accident ils partagent le
bénéfice de leur art : l’un est marin et l’autre, tout en
étant pédotribe, devient l’un des gymnastes. III, 6.9 C’est pourquoi pour les magistratures
politiques aussi, quand la constitution est fondée sur l’égalité et sur
la similitude des citoyens, ceux-ci trouvent juste de les exercer à tour de
rôle; en des temps plus anciens, comme il est naturel, ils trouvaient juste
que chacun prenne à sa charge à son tour les fonctions publiques et
qu’un autre veille en retour sur son bien, tout comme il avait veillé
aux intérêts de cet autre quand celui-ci était magistrat. III, 6.10 Aujourd’hui, par contre, du fait des
avantages que l’on retire des biens publics et du pouvoir, les gens
veulent gouverner continuellement, comme si, cela était toujours un gage de
santé pour ceux qui gouvernent, si maladifs soient-ils. C’est peut-être cela qui fait
qu’on n’a cessé de se ruer sur les magistratures. III, 6.11 Il est donc manifeste que toutes les
constitutions qui visent l’avantage commun se trouvent être des formes
droites selon le juste au sens absolu, celles, au contraire, qui ne visent
que le seul intérêt des gouvernants sont défectueuses, c’est-à-dire
qu’elles sont des déviations des constitutions droites. Elles sont, en effet, despotiques, or la
cité est une communauté d’hommes libres. III, 7.1 Une fois ces points traités, ce sont les
constitutions qui s’offrent ensuite à notre examen : combien elles
sont et quelles elles sont, et d’abord celles qui sont droites. Les déviations, en effet, manifesteront
d’elles-mêmes leur nature quand celles-ci auront été définies. III, 7.2 Puisque constitution et gouvernement
signifient la même chose, et qu’un gouvernement c’est ce qui est
souverain dans les cités, il est nécessaire que soit souverain soit un seul
individu, soit un petit nombre, soit un grand nombre de gens. Quand cet individu, ce petit ou ce grand
nombre gouvernent en vue de l’avantage commun, nécessairement ces
constitutions sont droites, mais quand c’est en vue de l’avantage
propre de cet individu, de ce petit ou de ce grand nombre, ce sont des
déviations. Car ou bien il ne faut pas
appeler citoyens ceux qui participent à la vie de la cité, ou bien il faut
qu’ils en partagent les avantages. III, 7.3 Nous appelons d’ordinaire royauté celle
des monarchies qui a en vue l’avantage commun; parmi les constitutions
donnant le pouvoir à un nombre de gens petit mais supérieur à un, nous en
appelons une l’aristocratie soit parce que les meilleurs y ont le
pouvoir, soit parce qu’on y gouverne pour le plus grand bien de la cité
et de ceux qui en sont membres. Quand
c’est la multitude qui détient le gouvernement en vue de
l’avantage commun, la constitution est appelée du nom commun à toutes
les constitutions, un gouvernement constitutionnel. III, 7.4 Et c’est rationnel, car il peut
arriver qu’un seul individu ou qu’un petit nombre se distingue
par sa vertu, alors qu’il est vraiment difficile qu’un grand
nombre de gens possèdent une vertu dans tous les domaines, avec comme
exception principale la vertu guerrière : elle naît en effet dans la
masse. C’est pourquoi dans cette
dernière sorte de constitution c’est la classe guerrière qui est
absolument souveraine et ce sont ceux qui détiennent les armes qui
participent au pouvoir. III, 7.5 Les déviations des constitutions
qu’on a indiquées sont : la tyrannie pour la royauté,
l’oligarchie pour l’aristocratie, la démocratie pour le
gouvernement constitutionnel. Car la
tyrannie est une monarchie qui vise l’avantage du monarque,
l’oligarchie celui des gens aisés, la démocratie vise l’avantage
des gens modestes. Aucune de ces
formes ne vise l’avantage commun. III, 8.1 Mais il faut traiter un peu plus longuement
de ce qu’est chacune de ces constitutions, car il y a là quelque
difficulté, et le propre de celui qui dans chaque domaine se conduit en
philosophe, c’est-à-dire qui ne considère pas seulement le côté
pratique des choses, c’est de ne rien négliger ni laisser de côté, mais
de rendre manifeste la vérité sur chaque chose. III, 8.2 Une tyrannie, comme nous l’avons dit,
est une monarchie exerçant sur la communauté politique un pouvoir despotique;
il y a oligarchie quand ce sont ceux qui détiennent les richesses qui sont
souverains dans la constitution, démocratie, au contraire, quand ce sont ceux
qui ne possèdent pas beaucoup de richesses mais sont des gens modestes. III, 8.3 Mais une première difficulté concerne la
définition de ces termes. Car
s’il y avait une majorité de gens souverains dans la cité tout en étant
aisés, il y aurait démocratie comme chaque fois que la masse est souveraine;
de même, dans la situation inverse, s’il advient quelque part que les
gens modestes soient en minorité, mais plus puissants que les riches et
détenteurs du pouvoir souverain dans la constitution : là où un petit
nombre est souverain on dit qu’il y a oligarchie. Il semblerait donc que la définition
proposée à propos des constitutions ne soit pas bonne. III, 8.4 D’autre part, si additionnant aisance
et petit nombre d’une part, revenu modeste et grand nombre de
l’autre, on dénomme les constitutions d’après ce critère
(oligarchie celle où les magistratures appartiennent aux gens aisés et en
petit nombre, démocratie celle où elles appartiennent aux gens modestes, et
en grand nombre), il surgit une autre difficulté. III, 8.5 Que dirons-nous, en effet, des
constitutions dont nous venons juste de parler, celles dans lesquelles
respectivement une majorité de gens aisés et une minorité de gens modestes
sont souverains, s’il n’existe aucune autre constitution en
dehors de celles dont nous avons parlé? III, 8.6 Or il semble que la raison rend clair le
fait suivant : que ceux qui sont souverains soient peu nombreux ou
nombreux est un attribut accidentel dans le premier cas des oligarchies, dans
le second des démocraties, parce que partout les gens aisés sont en petit
nombre et les gens modestes en grand nombre.
Les différences ne viennent donc pas des causes invoquées. III, 8.7 Mais ce par quoi diffèrent l’une de
l’autre la démocratie et l’oligarchie, c’est la pauvreté et
la richesse, et, nécessairement, là où ceux qui gouvernent le font par la
richesse, qu’ils soient minoritaires ou majoritaires, on aura une
oligarchie, et là où ce sont les gens modestes, une démocratie. III, 8.8 Mais ce qui arrive en outre, comme nous
l’avons dit, c’est que ceux-là sont peu nombreux, et ceux-ci
nombreux, car peu de gens sont aisés, alors que la liberté est le partage de
tous : voilà les raisons pour lesquelles ces deux groupes se disputent
le contrôle de la constitution. Livre VII VII, 13.1 Mais il faut parler de la constitution
elle-même, quels éléments et de quelle sorte doivent composer la cité appelée
à être bienheureuse et bien gouvernée. VII, 13.2 Pour tout le monde le succès réside dans
deux choses : l’une est de poser correctement le but et la fin de
ses actions, l’autre de trouver les actions menant à cette fin. Il peut en effet y avoir entre elles accord
ou désaccord, car, dans certains cas, le but est correctement posé mais on se
trompe sur ce qu’il faut faire pour l’atteindre, alors que
parfois on possède tous les moyens pour atteindre le but mais le but posé est
mauvais, ou que parfois on se trompe sur les deux, par exemple, en médecine
où parfois on possède tous les moyens pour atteindre le but mais le but posé
est mauvais, ou que parfois on se trompe sur les deux, par exemple, en
médecine où parfois on ne discerne pas bien ce que doit être un corps pour
être sain et on ne trouve pas les moyens de réaliser le programme qu’on
s’est proposé. Or dans les arts
et les sciences il faut maîtriser les deux : la fin et les actions
tendant à cette fin. VII, 13.3 Puisqu’il en est ainsi, il est donc
manifeste que tous aspirent à la vie heureuse c’est-à-dire au bonheur,
mais les uns ont la possibilité de l’atteindre, les autres non du fait
de quelque malchance ou de leur nature elle-même (car la vie heureuse
requiert aussi un cortège déterminé de moyens, moindre pour les meilleurs,
plus important pour les moins doués). VII, 13.9 C’est pourquoi nous souhaitons bénéficier,
pour la mise sur pied de la cité, de ces biens dont la fortune est maîtresse
(car nous reconnaissons qu’elle en est maîtresse). Par contre, être vertueuse pour une cité,
ce n’est en rien le fruit du hasard, mais de science et de choix
réfléchi. Mais, par ailleurs, une cité
est vertueuse par le fait que les citoyens participant à la vie politique
sont vertueux. Or pour nous tous les
citoyens participent à la vie politique. VII, 13.10 Il faut donc examiner ceci : comment
un homme devient-il vertueux? Car même
s’il était possible que tous les citoyens soient vertueux
collectivement, mais pas individuellement, il serait préférable d’avoir
cette vertu individuelle; la vertu de tous, en effet, est la conséquence de
celle de chacun. VII, 13.11 Par ailleurs, on devient bon et vertueux
par trois moyens, qui sont nature, habitude, raison. En effet, il faut d’abord posséder à
la naissance la nature humaine et non celle d’un quelconque autre
animal, posséder un corps et une âme d’une certaine sorte. Pour certaines qualités il n’est pas
utile de les posséder à la naissance, car les habitudes les font
changer. Certaines ont une nature qui
les fait pencher de deux côtés et vont vers le pire ou le meilleur du fait
des habitudes. VII, 13.12 Or les animaux autres que l’homme
vivent avant tout en suivant la nature, quelques-uns peu nombreux suivent
aussi leurs habitudes, mais l’homme suit aussi la raison. Car seul il a la raison. Si bien qu’il faut harmoniser ces
facteurs entre eux. Car les hommes
font beaucoup de choses contre leurs habitudes et leur nature grâce à leur
raison, s’ils sont persuadés qu’il vaut mieux procéder autrement. VII, 13.13. La nature que doivent avoir ceux qui sont
destinés à être pris en main pour leur bien par le législateur, on l’a
déterminée plus haut. Le reste est
affaire d’éducation, car on apprend, d’une part, par
l’habitude, d’autre part, par l’enseignement. |